Enterrement de première classe pour le Rapport Brazza.
Congo français, 14 juillet 1903. Alors que des prisonniers doivent être graciés à l’occasion de la Fête Nationale, Gaud et Toqué, deux fonctionnaires blancs, décident d’exécuter Pakpa, un ancien guide, pour l’exemple et la sidération des indigènes. Et, tant qu’à faire, ils décident de sa mise à mort par l’explosion d’une cartouche de dynamite enfoncée dans son rectum… Seulement c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase, à Paris l’opposition s’insurge et une commission d’enquête est réclamée. Elle sera dirigée par Pierre Savorgnan de Brazza. Un homme à l’intégrité inattaquable, un héros de la colonisation du Congo. Il déclarera dans son rapport » J’ai déjà exprimé de sérieuses réserves. Je les confirme. Elles n’ont pas été motivées par la constatation d’un fait isolé. Au cours de mon voyage, j’ai acquis le sentiment très net que le Département n’a pas été tenu au courant de la situation réelle dans laquelle se trouvent les populations indigènes et des procédés employés à leur égard. Tout a été mis en œuvre lors de mon passage dans cette région pour m’empêcher d’en avoir connaissance. »
Voilà pour l’album, mais le deuxième scandale, soigneusement caché derrière les agissements crapuleux de colons français pourtant prompts à critiquer la politique de Léopold II dans le Congo belge voisin, consiste en la mise au frigo pendant plusieurs dizaines d’années d’un rapport qui mettait directement en cause l’Etat français. Il faudra le hasard et la chance pour que ce rapport pourtant connu -mais dont la plupart des exemplaires ont disparu- refasse surface. Un rapport jamais rendu public par la grâce du décès, suite à la maladie, de son rédacteur et qui sera remplacé par une version édulcorée nettement plus en accord avec l’autoproclamée » mission civilisatrice de la France « .
C’est l’histoire de l’enquête de Savorgnan que nous racontent brillamment Tristan Thil au scénario et Vincent Bailly au dessin. Après une longue et utile mise en situation historique, le récit se focalise sur la dénonciation des conditions de vie des paysans indigènes, ces » nègres fainéants « , ces » singes » à qui un coup de bâton -ou plusieurs- ne peuvent pas faire de tort… Au final, les deux auteurs proposent un récit extrêmement fort et violent complété d’un dossier explicatif du travail de recherche effectué par l’historienne Catherine Coquery-Vidrovitch.
Bref, un récit à découvrir absolument.
RTBF